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LES VIGNOBLES ET VINS D’ALSACE Un des premiers gestes de Noé après le Déluge fut de replanter la vigne en signe de renaissance. Que de fois les Alsaciens ont dû répéter ce geste symbolique! Tout au long de son histoire, l’Alsace a connu l’alternance de périodes fastes et de moments difficiles. Situé sur la route des grandes invasions, le vignoble alsacien a connu bien des vicissitudes. Chaque fois, tel le phénix, il a su renaître de ses cendres. De nos jours, dans un contexte difficile, le vignoble alsacien s’impose comme l’un des plus prestigieux de l’Hexagone. Cette réussite est due à des facteurs naturels incontestables, mais aussi, et surtout, aux facteurs humains. Les vignerons alsaciens ne cherchent pas à dissimuler leur réussite. Ils en sont fiers. Ils la doivent à leur travail, à leur recherche permanente de la qualité, à leur acharnement malgré les aléas de l’Histoire. Une
histoire mouvementée Pour
chaque région viticole, nombreux sont les chercheurs et les historiens qui
s’efforcent de définir avec précision l’époque où la vigne est apparue.
Mais de quelle vigne s’agit-il? Il faut faire une distinction entre vigne et
viticulture. La vigne est une des plantes les plus anciennes de la terre. Des
traces de son existence dans de nombreuses régions du globe, y compris au
Groenland, prouvent que cette plante a précédé l’homme sur la terre. En
France, des fossiles du tertiaire ont été retrouvés dans la région de Sézanne,
d’autres du quaternaire dans celle de Montpellier. Il s’agissait alors de
vigne sauvage poussant à l’état spontané. Les facteurs qualificatifs Ils
peuvent être classés en deux grandes catégories: les facteurs sur lesquels
l’homme n’a pas ou a peu d’influence sont ceux liés au milieu cultural
(sol, climat, exposition...); les facteurs sur lesquels l’homme peut et doit
intervenir sont les conditions culturales (choix du cépage, mode de conduite,
rendements, choix de la date des vendanges...); et bien évidemment les
techniques et l’art de la vinification. Sol
et sous-sol A
l’origine, les Vosges et la Forêt-Noire (massif montagneux situé en
Allemagne sur la rive droite du Rhin) ne formaient qu’un massif unique. A l’ère
tertiaire, la collision de la plaque africaine avec la plaque européenne a fait
surgir la chaîne des Alpes. Plus au nord, cette compression se traduit par le
plissement de la couverture sédimentaire des massifs anciens, puis dans un
second temps, par une distension latérale des fracturations et l’effondrement
de l’actuelle plaine d’Alsace et celle de Bade dans la partie centrale de
l’ancien massif unique. Cela explique la complexité et la diversité du
sous-sol alsacien et, par voie de conséquence, la grande diversité des
terroirs et des vins qu’on y rencontre. •
la montagne vosgienne faite de terrains anciens cristallins et primaires
(socle hercynien), avec une couverture partiellement conservée de grès des
Vosges (Trias inférieur); Climat
et orientation Contrairement
à une opinion très répandue, l’Alsace bénéficie de conditions
climatiques privilégiées. Certes, comme dans toutes les régions où domine un
climat semi-continental, les hivers peuvent y être froids et les étés très
chauds. En revanche, c’est une des régions les plus ensoleillées de France
à cette latitude. Qui plus est, la pluviométrie y est très faible (500 mm
d’eau par an dans la région de Colmar). Elle bénéficie donc des conditions
climatiques favorables à une excellente maturation des raisins. Localisation Le vignoble alsacien est situé au pied et à l’abri des Vosges sur les collines sous-vosgiennes, à une altitude variant de 200 à 400 m. Il s’étire sur une centaine de kilomètres, de Marlenheim (à l’ouest de Strasbourg) à Thann (à l’ouest de Mulhouse). Une enclave est localisée plus au nord, dans la région de Wissembourg, près de la frontière allemande: le vignoble de Cleebourg. Les
cépages alsaciens «Le
génie du vin est dans le cépage», écrivit Olivier de Serres.
Il
était déjà présent sur les rives du Rhin à la fin du XVème siècle. Il
occupe actuellement 23 % des surfaces plantées (13 % il y a vingt-cinq ans). Le
riesling est un cépage tardif (ce qui le préserve des gelées de printemps).
Il donne ses meilleurs résultats sur les terroirs bien exposés et sur les sols
pas trop lourds: schisteux, sablo-argileux, limoneux, riches en éléments
grossiers. Vin fin, sec et racé, il est caractérisé par des arômes délicatement
fruités, floraux ou minéraux selon les terroirs. Ces arômes évoluent au
cours du vieillissement. En effet, contrairement à une opinion très répandue,
certains rieslings, en particulier les grands crus, ont une excellente
aptitude au vieillissement. Ce cépage est le compagnon idéal pour les
poissons, les crustacés, les volailles, les viandes blanches et, bien sûr, la
choucroute à l’alsacienne. Pour les Alsaciens c’est le vin d’Alsace par
excellence. Ils lui ont d’ailleurs consacré un poème: Du
Riesling dans le verre, Le gewurztraminer
Il
tire son nom du village de Tramin (Termeno) dans le Tyrol italien où il
était déjà présent au XIème siècle. Dans de nombreux pays, il est encore
appelé traminer. En Alsace, jusqu’au début des années 70, il était
commercialisé soit comme traminer, soit comme gewurztraminer. Depuis la mise en
place du «nouveau statut des vins d’Alsace», seule la dénomination
gewurztraminer est admise. Les surfaces qui lui sont consacrées (18 %) sont
pratiquement stables. Il aime les bonnes expositions, les sols marneux,
profonds, légèrement calcaires. Il donne des vins puissants, ce qui n’exclut
ni la finesse ni la délicatesse, aux arômes de fruits mûrs, de rose et d’épices.
Il a une excellente aptitude au vieillissement, surtout lorsqu’il s’agit
des vendanges tardives ou de sélection de grains nobles. Il accompagne
parfaitement les plats exotiques, le munster, les desserts... Le tokay pinot gris (ou la légende de Lazare de Schwendi) Jusqu’au
début des années 80, les vins issus de ce cépage étaient commercialisés
sous la dénomination « tokay ». La légende voulait que ce cépage ait été
rapporté de Hongrie par le baron Lazare de Schwendi après sa victoire sur les
Turcs au XVIème siècle. S’il est possible que le baron ait rapporté des
plants de vigne de Hongrie, il ne pouvait pas s’agir du cépage cultivé
actuellement en Alsace. En effet, à l’époque, il n’était pas présent en
Hongrie (on le trouve maintenant sur les rives du lac Balaton sous le nom de Szükebarat).
D’ailleurs, les tokays hongrois sont élaborés à partir de cépages qui
n’ont rien à voir avec le pinot gris: le furmint et l’harslevelu. Le muscat
Sa
présence est déjà signalée en Alsace au début du XVIème siècle. Il n’occupe
que 3 % des surfaces plantées. Cela s’explique en partie par le fait que
lorsqu’ils sont cultivés dans des zones septentrionales, les cépages muscat
sont très sensibles à la coulure (non fécondation des fleurs) si les
conditions climatiques ne sont pas favorables. Deux variétés de muscat sont
cultivées en Alsace: le muscat d’Alsace, ou muscat à petits grains, et le
muscat ottonel. Ce dernier n’est cultivé en Alsace que depuis le siècle
dernier. Les vins issus de muscat produits en Alsace n’ont rien à voir avec
ceux du Midi (muscat de Rivesaltes, de Frontignan, etc.). Le muscat d’Alsace
est un vin sec, voire très sec, au fruité inimitable, avec des arômes fins et
subtils de raisins frais. Vin d’apéritif et de réception par excellence, il
accompagne parfaitement les asperges, en particulier celles produites en Alsace
dont la qualité n’est plus à démontrer. Le pinot blanc, appelé localement klevener Ce
cépage, d’origine française, fait partie de la grande famille des pinots. Ce
serait une mutation du pinot noir mais sur ce point les spécialistes sont très
divisés. En Alsace, les superficies plantées en pinot blanc ont presque doublé
en trente ans (actuellement 21 %). Cette augmentation spectaculaire est une des
conséquences de l’engouement pour le crémant d’Alsace. En effet, les vins
issus de ce cépage représentent une part très importante des vins mis en
oeuvre pour l’élaboration du crémant. Le pinot blanc aime les sols limoneux,
légers et fertiles. Ce cépage donne des vins tendres, délicats, légèrement
fruités, qui allient fraîcheur, corps et souplesse. Le pinot blanc s’accorde
avec de nombreux mets: quiches, fruits de mer, buffets campagnards... En
Alsace, l’auxerrois, qui n’est pas originaire de l’Yonne, comme son nom
pourrait le laisser supposer, mais de Lorraine, est assimilé au pinot blanc. Le sylvaner Ce
cépage en provenance d’Autriche a été introduit en Alsace au milieu du siècle
dernier. Très résistant sous les climats difficiles, il s’est rapidement
imposé, pour atteindre presque 30% des surfaces plantées à la fin des années
60. De nos jours, il ne représente plus que 15 %. Sur de nombreuses parcelles,
il a été remplacé par du pinot blanc, pour les raisons que nous avons déjà
évoquées. Il aime les sols profonds, sableux et calcaires. Ce vin est à boire
jeune: il est frais, léger et fruité. Sur certains terroirs (par exemple à
Mittelbergheim), il peut atteindre une qualité tout à fait remarquable. Il
accompagne les fruits de mer, les quiches, les charcuteries... Le
chasselas À
signaler également le chardonnay, autorisé pour l‘AOC Crémant
d’Alsace. Quant à l’edelzwicker, il ne s’agit pas d’un cépage
mais d’un vin issu généralement de l’assemblage harmonieux de vins de différents
cépages alsaciens. La question de la qualité de ce vin est souvent posée.
C’est un peu comme la langue d’Esope... Tout dépend de la qualité des cépages
intervenant dans l’assemblage. Les vins blancs d’Alsace: une palette incomparable! L’Alsace
offre une gamme complète de vins blancs, qui va des vins blancs secs, voire très
secs, aux vins moelleux et liquoreux. Ces derniers sont issus des vendangés
tardives (VT) et des sélections de grains nobles (SGN). Les vins d’Alsace
sont commercialisés sous trois AOC (appellation d’origine contrôlée): - Alsace ou vin d’Alsace, Alsace
ou vin d’Alsace: cette
AOC est réservée à l’ensemble des vins produits dans l’aire délimitée
et qui remplissent les conditions fixées par décret (cépages, rendements,
titre alcoométrique volumique minimum naturel; méthode de taille, de culture,
de vinification; dégustation d’agrément...). Alsace
grand cru: AOC
réservée à des lieux-dits strictement délimités dont certains ont une
renommée très ancienne. Le Kastelberg d’Andlau est déjà cité dans un
document de 1604, le Manbourg de Sigolsheim dès 781! L’AOC Alsace Grand Cru
implique d’abord une délimitation très stricte qui fait appel aux qualités
du sol et de l’environnement topographique et climatique, puis s’ajoutent
des conditions de production plus restrictives que pour l’AOC Alsace:
rendement plus faible, seuls quatre cépages admis (riesling, gewurztraminer,
muscat et tokay pinot gris). L’étiquette doit comporter, outre l’appellation
Alsace Grand Cru, la mention du lieu-dit, du cépage et du millésime. Il existe
actuellement 50 grands crus en Alsace. Crémant
d’Alsace: cette
AOC, qui date de 1976, est réservée aux vins effervescents élaborés selon
la méthode traditionnelle (appelée jusqu’au début des années 90 «méthode
champenoise»). Cette méthode implique une seconde fermentation en bouteilles,
un vieillissement minimum, un remuage et un dégorgement. Les cépages admis
pour cette AOC sont tous les pinots (blancs, gris et noirs), l’auxerrois, le
riesling et le chardonnay. Vendanges
tardives et sélection de grains nobles: ces
deux mentions rares et prestigieuses peuvent compléter les AOC Alsace et Alsace
Grand Cru. Exclusivement issus des cépages riesling, gewurztraminer, muscat et
tokay pinot gris, ces vins ne sont élaborés qu’en années exceptionnelles
à partir de raisins récoltés à surmaturité présentant de la pourriture
noble. En Alsace, en raison de la situation septentrionale du vignoble, les
vendanges tardives présentent généralement un très bel équilibre. Pour
les sélections de grains nobles, les vendanges s’effectuent par tris
successifs des grains atteints de pourriture noble (Botrytis cinerea). Lorsque
les conditions climatiques lui permettent d’envisager l’élaboration de ces
vins, le viticulteur doit faire une déclaration préalable. Puis les services
de l’INAO procèdent à un contrôle chez le viticulteur le jour de la
vendange. Qui plus est, les vendanges tardives et la sélection de grains
nobles sont soumis à une procédure d’agrément particulière. Dans un
premier temps, les vins doivent obtenir leur agrément en appellation Alsace ou
Alsace Grand Cru. Dans un second temps, dix-huit mois après la récolte, les
vins, qui sont déjà en bouteilles, sont présentés à l’agrément «dans la
mention». La commission doit juger cette fois si le vin a bien les caractères
de la mention revendiquée. Il s’agit de conditions exceptionnelles pour des
vins d’exception! Vin
de paille: quelques
viticulteurs élaborent du vin de paille, c’est-à-dire fait à partir de
raisins surmûris sur clayettes ou sur de la paille. Cette production reste
confidentielle, mais ce type de vin était déjà élaboré dans la région au
XVIIIème siècle. Vin d’Alsace et gatronomie En
France, on ne conçoit pas un bon repas, aussi simple soit-il, sans vin. Lors
d’un séjour en Alsace, n’hésitez pas à découvrir les accords
remarquables
entre la gastronomie locale et les vins de la région. Par exemple, dégustez un
muscat (en Alsace il s’agit d’un vin sec) à l’apéritif. À la saison des
asperges, vous pouvez continuer avec le même vin. Avec le Flammekueche (tarte
flambée), dégustez un sylvaner bien frais ou un pinot noir. Avec la choucroute
ou le coq au riesling, demandez un riesling, bien sûr. Un tokay pinot gris
vendanges tardives accompagnera parfaitement un foie gras. Un gewurztraminer (y
compris en vendanges tardives) s’harmonise parfaitement avec le munster. Si
le fromage est à point, vous vivrez un grand moment: un véritable mariage
d’amour! Le
vignoble d’Alsace en quelques chiffres (source CIVA, Colmar) Les
caractéristiques de la production et du marché: Production
Alsace et Alsace Grand Cru typée de vins secs, fruités, bouquetés dont 92 %
sont blancs: •
14.400 ha de vigne en production; Trois
appellations d’origine contrôlée: •
Alsace (87 % de la production) complétée par l’indication facultative d’un
nom de cépage. Deux
mentions: Vendanges
tardives et sélection de grains nobles. Une
mise en bouteilles exclusive: •
une mise en bouteilles à 100 % dans la région de production depuis la loi du 5
juillet 1972; Les
professionnels des vins d’Alsace: •
6.900 viticulteurs dont 2.000 disposent de plus de 2 ha et exploitent
plus de 80 % de la surface totale du vignoble;
A
bientôt en Alsace pour découvrir, ou redécouvrir, nos vins et rencontrer les
hommes qui, chaque jour, ne ménagent ni leur temps ni leur peine pour nous
offrir des bouteilles dignes de figurer sur toutes les tables, des plus simples
aux plus prestigieuses. Personnellement, j’ai toujours beaucoup d’admiration
pour les vignerons, car je sais, comme nous le rappelle Louis Forest, «qu’il
n’est point d’art qui soit plus difficile que celui de faire du vin, de le
conserver, de le servir. Il y faut force, instinct, science, temps, patience
et amour». |